Les accommodements raisonnables

par Jean-Pierre Martel  (écrit en janvier 2007)

La liberté de religion est un droit fondamental protégé par la Constitution canadienne. Toute loi, tout règlement municipal ou scolaire et toute clause contractuelle qui va à l’encontre de l’exercice de ce droit fondamental est nul à moins, évidemment, qu’il ne protège un droit encore plus fondamental. Si, pour de simples raisons esthétiques, les règlements d’un condominium interdisent une pratique religieuse, ces règlements sont nuls. De même, tout règlement scolaire — même s’il émane d’une institution non confessionnelle — est nul s'il va à l’encontre d’une prescription religieuse. Précisons ici que même si on a « sorti les crucifix des écoles », on n’a jamais interdit un élève de faire un signe de la croix au début d'un repas, ni de porter un pendentif en forme de crucifix. La déconfessionnalisation  de nos institutions scolaires ne signifie donc pas l’apostasie des personnes qui y travaillent ou qui y étudient, ni même l’interdiction des signes ostentatoires d’une pratique religieuse (contrairement à ce que peut interdire une constitution comme celle de la France). Donc, on peut pratiquer sa religion à l'intérieur d'une école non confessionnelle. Toutefois, plus cette pratique est discrète, moins elle risque d'offenser ceux qui pourrait percevoir tout rituel religieux public comme démonstratif et insécurisant. Donc sur demande, l'aménagement temporaire ou permanent de salle(s) de prière dans les écoles est dans l’intérêt de tous.

Un problème que l'on peut anticiper est celui des choix culinaires offerts dans nos 
cafétérias scolaires. Précisons ici que cette question ne concerne pas que le porc (tabou chez les Juifs et les Arabes), mais également le bœuf (sacré chez les Indous), les produits laitiers (interdits par la religion Juive), les poissons (défendus aux Bouddhistes), etc. Si on souhaite établir un régime compatible avec tous les interdits religieux, cela est pratiquement impossible. C'est pourquoi nos cafétérias scolaires devront préparer (ou, plus commodément, acheter de traiteurs) des plats spéciaux et s'équiper d'instruments de cuisine respectant les interdits religieux (par exemple en se dotant de sachets d'ustensiles jetables). Évidemment cela représente des coût additionnels, comme le bilinguisme au Canada coûte davantage que l'unilinguisme,

Selon le sondage LFOP (Le Monde / Le Point / Europe 1) réalisé en France le 5 octobre 2001, 36% des Musulmans se disent croyants et pratiquants alors que 42% des Musulmans français de disent croyants mais non pratiquants. Au cours du Ramadan de cette année-là, 22% n'avaient pas jeûné. 66% ne prient pas chaque jour. 79% n'allaient généralement pas à la mosquée le vendredi et 35% boivent 
occasionnellement de l'alcool. À l'exclusion des prières quotidiennes, le fait de jeûner ou d'aller à la mosquée n'est pas soumis au bon vouloir d'infidèles. Par conséquent, tenter d'empêcher une pratique religieuse constitue de la persécution religieuse : toutefois on voit donc que tout mettre en oeuvre pour s'en accommoder favorise son inobservance à moyen terme chez qui sont astreints à des pratiques religieuses exigeantes. En somme, s'opposer à l'Islam la radicalise : s'en accommoder la corrompt.

Dernièrement, la population québécoise a été choquée d’apprendre qu’un centre sportif privé avait décidé de soustraire des femmes à la vue de voisins dont la religion prescrit des règles de modestie stricts à ses fidèles. Dans les faits, cela revenait à imposer à ces femmes les règles d’une religion qui n’est pas la leur. Cet incident a amené beaucoup de Québécois à s’opposer à la notion
d'accommodement raisonnable et à extrapoler que les femmes pourraient en venir à porter la bourca afin d’éviter d’offenser ceux qui frémissent à la vue de la peau féminine. Jusqu’ici, les accommodements raisonnables prescrits par les tribunaux ont consisté à forcer la création d’exceptions à des règles qui se voulaient absolues. Jamais nos tribunaux ont voulu contraindre la majorité à exercer la religion d’une minorité. Il ne s'agit donc pas ici d'un accommodement raisonnable. Rappelons qu'un tribunal ontarien a déjà statué que d'obliger les femmes à cacher leur poitrine alors que la poitrine masculine ne souffre pas d'un tel interdit, constitue de la discrimination sexuelle.

Si nous souhaitons 
perpétuer pour l'éternité le Québec comme il était au sortir de la Révolution tranquille des années '60, alors fermons nos frontières et repassons en boucle nos vieilles émissions de télévision. À tort ou à raison, nous avons décidé d'accueillir chez nous des personnes qui apportent avec eux des habitudes culturelles et religieuses différentes des nôtres. En cela ils nous ressemblent ; que font beaucoup de ces Québécois qui passent des mois en Floride si ce n'est s'abonner au câble québécois afin de continuer à suivre leurs parties de hockey et afin de ne pas manquer leurs téléromans préférés.

Si les immigrants représentent pour nous une source de problèmes, cessons d'en importer. Toutefois, si nous manquons de médecins, d'infirmières, de personnel qualifié dans différents domaines, bref, si nous croyons que ces invités pourraient enrichir notre collectivité, faisons un petit effort pour être aimables et 
accueillants.

Défendre les compromis raisonnables ne signifie pas être prêts à tout pour avoir la paix. Il est clair que l'excision du clitoris des petites filles, les crimes d'honneur, l'assassinat pour raison d'apostasie, vitrioler la fiancée qui change d'idée, épouser une mineure, l'esclavage, tous permis ou tolérés dans certains pays, doivent être interdits chez nous. De plus, je crois que les déguisements complets (la bourca — je ne parle pas ici du voile islamique qui laisse visibles les traits du visage — de même que les déguisements d'Halloween, cette fête vulgaire d’inspiration américaine) devraient être interdits sur la place publique pour des raisons de sécurité. Le reste, quelle importance. Ce que nous appelons ”accomodements raisonnables” n’est qu’une version actuelle du “vivre et laisser vivre” des hippies des années ’60 ; une manière de laisser les autres vivre leur différence sans que cela nous engage à quoi que ce soit.