Chaque année, des dizaines de
Québécois — surtout des personnes
âgées ou fragiles — meurent
d’une diarrhée causée par une
bactérie appelée Clostridium difficile. Le
présent texte vise à vous convaincre que la
seule cause de cette épidémie est
le manque d’hygiène, plus précisément
le fait qu’au lieu de se laver les mains avec de l’eau et
du savon, le personnel hospitalier préfère se les
badigeonner de gels alcoolisés (les «
égalisateurs de crasse »).
Lorsqu’une bactérie de C. difficile se retrouve en
milieu hostile — par exemple sur les mains du personnel
soignant ou sur des surfaces sèches — cette bactérie forme une carapace qui
lui sert de protection : la bactérie dormante sous
cette carapace s’appelle une spore. Toutes les
bactéries n’ont pas la capacité de
former des spores mais C. difficile le peut. Dès que les
spores se retrouvent en milieu favorable, leur carapace disparaît et les bactéries redeviennent actives.
Les études ont démontré que les
égalisateurs de crasse sont plus efficaces que
l’eau et le savon contre les bactéries en général
mais sont totalement inefficaces contre les spores de C. difficile.
Malheureusement, lorsqu’il y a des bactéries
de C. difficile sur des mains, celles-ci sont présentes sous forme de spores.
Pour illustrer à quel point les égalisateurs de crasse sont
inefficaces contre les spores de bactéries, il faut savoir que les spores
d’Anthrax peuvent survivre vingt ans dans l’alcool, alors que les spores de Bacillus subtilis
peuvent y survivre neuf ans.
Imaginez que les spores de bactéries soient des grains de sable microscopiques.
Se badigeonner avec des gels alcoolisés modifie la disposition de ces
grains de sable sur les mains mais ne diminue pas leur nombre. Toutefois, après
savonnage, ceux-ci sont emportés par le courant lorsque les mains sont
rincées sous un jet d’eau.
Il suffit de toucher un objet sur lequel se trouvent des spores de C.
difficile, ensuite de toucher un aliment et enfin, de le porter
à sa bouche pour ingurgiter des spores de C. difficile. Se
laver les mains à l’eau et au savon
réduit ce risque à zéro : se
badigeonner avec des égalisateurs de crasse ne change rien
puisque cela laisse intacts les spores de C. difficile.
Lorsqu’elles sont à leur température idéale de multiplication, les
bactéries peuvent doubler à toutes les quinze minutes. Faites le calcul :
cinq heures plus tard, une bactérie a donné naissance à un milliard
de bactéries. Voilà pourquoi l’hygiène la plus stricte est nécessaire face
à un adversaire comme C. difficile.
Heureusement, il ne suffit pas d’ingurgiter des spores de C.
difficile pour développer une diarrhée. La
très grande majorité des personnes dont
l’intestin contient des bactéries de C. difficile
sont sans symptôme : on dira que ce sont des
porteurs asymptomatiques. Mais il leur suffit de recevoir un
antibiotique anéantissant une bonne partie des
bactéries de leur intestin — laissant le champ
libre au C. difficile — pour qu’une
diarrhée potentiellement mortelle puisse se
développer. Plus on augmente le nombre de porteurs
asymptomatiques, plus on augmente la probabilité
d’une diarrhée à C. difficile.
L’ensemble des personnes dont les intestins
hébergent du C. difficile peuvent être
comparés à un iceberg dont la pointe est
formée de ceux qui sont exposés à des
antibiotiques et qui développent la diarrhée.
Plus un iceberg est gros, plus
la pointe qui sort de l’eau est volumineuse.
Puisque les cas de diarrhée à C. difficile apparaissent
toujours à la suite de la prescription d’un antibiotique, certaines personnes
s’imaginent qu’on peut combattre l’épidémie de C. difficile par
le moyen d’une utilisation plus judicieuse des antibiotiques. C’est oublier
que la cause profonde de cette épidémie, ce ne sont pas ses
facteurs déclenchants (les antibiotiques), mais plutôt la
multiplication du nombre des porteurs asymptomatiques.
Qu’il soit prescrit à tort ou à raison, lorsqu’un
antibiotique déclenche la diarrhée à C. difficile, cette
diarrhée-là aurait été impossible sans la présence
au préalable de C. difficile dans l’intestin du patient.
C’est d’ailleurs pourquoi la réduction de l’usage inappropriée des
antibiotiques — aussi louable que puisse être un tel objectif — ne réussit
pas à nous débarasser de l’épidémie de C. difficile.
La raison de cet échec est facile à comprendre. Si on
réduit de 10% l’utilisation des antibiotiques, on réduit de 10%
les cas de diarrhée à C. difficile. Pas plus. Si on réduit
leur utilisation de 20%, on réduit les cas de 20%, etc. Donc la seule
façon de mettre fin l’épidémie de diarrhée à
C. difficile par le moyen du contrôle de l’utilisation des
antibiotiques, c’est en cessant totalement de les utiliser, ce qui n’arrivera jamais.
Les antibiotiques ne créent pas l’apparition miraculeuse de C. difficile
dans l’intestin des patients sous antibiothérapie. C’est le manque d’hygiène
qui fait que des spores sont ingurgitées et que bactéries de C. difficile se
retrouvent dans l’intestin des patients. Or les experts sont unanimes : le lavage des mains est la plus
importante parmi toutes les mesures d’hygiène qui permettent de lutter contre
l’épidémie de diarrhée à C. difficile .
Dans un récent débat télévisé, alors qu’une participante
déplorait le manque d’hygiène dans nos hôpitaux, j’ai été
estomaqué d’entendre un médecin urgentologue répliquer en ridiculisant sa
“peur de la bibitte” (pour reprendre son expression) et insinuer que le contact avec
C. difficile permettrait de nous immuniser contre cette bactérie. S’il
est permis de penser qu’un jour on puisse inventer un vaccin, il est clair qu’actuellement
les personnes qui ingurgitent des spores de C. difficile ne s’immunisent pas contre
elle mais en deviennent plutôt des porteurs asymptomatiques. Tant que même
certains médecins feront l’apologie de la malpropreté,
l’épidémie de diarrhée à C. difficile persistera.
Actuellement, personne ne cherche à savoir si les mesures adoptées
réduisent efficacement la proportion de porteurs asymptomatiques
dans la population. Tout ce qu’on sait, c’est qu’on ne parvient pas à juguler
une épidémie qui dure déjà depuis quelques années
au Québec. Lorsque le nombre de cas diminue, on s’en félicite : lorsqu’il
augmente, on blâme la virulence de la souche. On se justifie en nous
parlant de la complexité de la situation ou en nous comparant à ceux qui ont
pris les mêmes mesures que nous et qui conséquemment obtiennent les mêmes
résultats navrants. Bref, on s’en lave les mains (au sens figuré,
évidemment). Entretemps, on se contente de nettoyer les hôpitaux tant bien
que mal et tout le monde continue à se badigeonner
paresseusement les mains avec des égalisateurs de crasse sauf
— Dieu merci ! — lorsqu’on se prépare
à opérer un malade.
Certains hôpitaux inviteront tous les visiteurs qui
pénètrent dans l’institution
à se frotter les mains avec des égalisateurs de
crasse comme mesure destinée à lutter contre
l’épidémie de C. difficile. À
mon avis, on serait plus avisé d’offrir aux visiteurs
un moyen de se laver les mains en sortant de l’hôpital
plutôt qu’en y entrant. Au journal télévisé,
on parlera du lavage des mains en montrant des images de personnes utilisant des
gels alcoolisés, renforçant l’association
erronée entre hygiène et utilisation
d’égalisateurs de crasse.
Aveuglé par la certitude, le public présume que
les gestionnaires de nos hôpitaux font tout pour combattre
l’épidémie à C. difficile
alors qu’en réalité, on
perpétue des habitudes qui permettent depuis des
années à
l’épidémie de tuer inutilement des
dizaines de personnes âgées. Le plus incroyable dans ce scandale,
c’est que les moyens les plus efficaces pour combattre cette épidémie
coûtent presque rien : de l’eau et du savon pour le lavage des mains,
et de l’eau de Javel pour la désinfection des locaux.
Références :
1 - Centers for Disease Control and Prevention
2 - England’s Department of Health
3 - The Maryland Department of Health & Mental Hygiene
4 - Ecolab