Des fois, c'est beau : des fois, c'est triste

Avant-propos : Le présent texte est l'un des touts premiers écrits publiés de l'auteur,
alors âgé de 22 ans. Sans être drôle, ce texte justifie sa présence dans le présent
recueil par sa dédicace au pharmacien et humoriste Émile Coderre (connu sous
le pseudonyme de Jean Narache) dont l'oeuvre, caractérisée par son humanisme et
son attachement aux gens du peuple, est aujourd'hui injustement oublié.
Le petit gars qui fait un détour pour ne pas faire peur à l'écureuil qui
est figé là, sur le tronc d’arbre, à trois pieds devant : je trouve ça 
beau.
    La mère qui s’empresse à faire son marché puis qui est toute 
excitée parce qu’elle vient de recevoir la lettre de Jean, … son Jean,
qui a décidé de revenir à la maison : je trouve ça beau.
    Les gens que je vois dans la rue après que je me sois enfermé 
dans ma chambre pendant toute la journée : ils sont donc beau.
    À l’aéroport. le bonhomme qui éclate en sanglots dans le cou de 
sa femme en la retrouvant puis qui pourtant la serre dans ses bras 
comme si c’était pour la dernière fois : je trouve ça beau.
    Sur la rue, le gars qui prend son fils dans ses bras puis qui lui 
parle, en extase, comme s’ils étaient rien que tous les deux sur la 
terre : je trouve ça beau.
    Mais la vieille dame qui a de la misère à monter les marches de 
l’autobus mais qui se dépêche, en forçant, pour ne pas retarder 
personne : je trouve ça triste.
    L’ouvrier, à 6h, qui se passe la main dans les cheveux, les yeux 
fermés, puis qui est assis sur les premières marches d’un perron 
parce qu’il est trop fatigué pour attendre l’autobus debout : je trouve 
ça triste.
   L’ivrogne, le bras accoté sur le mur, de dos à la rue, penché 
devant, occupé à vomir, puis qui se dit que sa femme a eu bien 
raison de laisser un sans-cœur comme lui : je trouve ça triste.
    Le gars à la table, juste en face, près de la colonne, qui s’arrête 
d’un coup de parler, que la face lui tombe, puis qui part presque à 
brailler en entendant un vieux morceau qui lui rappelle des 
souvenirs : je trouve ça donc triste.
    C’est comme ça : des fois c’est triste puis on ne voit pas. D’autres 
fois c’est beau puis on ne le remarque même pas. Parfois je me 
demande combien de temps on perd à passer sans regarder, à 
regarder sans voir, à voir sans penser ou à penser sans réfléchir.
Publié dans L’Impharmation le 16 octobre 1970
© 1970 — Jean-Pierre Martel

CLIQUEZ SUR LE TEXTE QUE VOUS AIMERIEZ LIRE :

Des fois, c'est beau : des fois, c'est triste
Il est beau le métro, mais...
La Méopathie
Le voyage d'hiver
Le Téléjournal de Radio-Canada
Entrevue avec Me Leblanc
Le dextrométhorphane tue
Ma tasse de malheur
Mon inspection professionnelle
Les temps sont durs
L'Union fait la force
Arlequinade
L’enquête du Coroner
Les hauts et les bas du dépannage

RETOUR AU MENU GÉNÉRAL