L'Union fait la force

Avant-propos
Voici le texte d'une entrevue fictive réalisée auprès de l'Union Bien Conservatrice de
la Pharmacie Québécoise (UBCPQ). Toute ressemblance avec l'Association des Bannières
et des Chaînes de Pharmacies du Québec (ABCPQ) serait pure coïncidence.
– Félicitations pour votre élection à l'UBCPQ. Comment est née 
votre Union ?
– C'est très simple. Depuis un certain temps, l'Ordre nous consulte 
beaucoup avant d'agir. Après le dîner, un peu avant la reprise d'une 
de ces réunions, les représentants des chaînes se sont retrouvés 
par hasard dans la toilette des hommes. C'est là qu'on a décidé de
fonder une association des chaînes en pharmacie. Mais on venait
à peine de s'entendre qu'on entendait crier de la toilette des femmes :
«Puis nous autres, les bannières, qu'est-ce qu'on devient ?». On
s'est regardé. Accepter les bannières parmi nous ? On a un peu
hésité, mais j'ai convaincu les chaînes en disant : «On a juste à 
s'arranger pour qu'il n'y en n'ait pas trop à l'exécutif.» Ce qui a 
donné l'union des chaînes et des bannières. Alors voilà, ça s'est 
fait comme ça.
– Bravo, toutes nos félicitations. Quelle est votre priorité principale ?
– J'aimerais que l'Ordre fasse de la publicité pour rehausser l'image
du pharmacien.
– ...l'image du pharmacien.
– Oui mon pitte, rehausser l'image du pharmacien. Dans le public, 
ils ne sont pas tous intelligents, vous savez. Notre opposition au 
règlement sur le tabac, il y a du monde qui pense encore qu'on a 
fait ça pour l'argent. D'autre part, quand on a dit que si le Gouver-
nement touchait à nos heures de fermeture, on augmenterait le
prix des médicaments ou on réduirait le salaire de nos employés,
certains ont pris ça pour du chantage. Ce n'est pas du chantage,
c'est un avertissement, c'est très différent. À cause de cette incom-
réhension entre le public et nous, on a décidé de faire — ou plus
exactement, on a décidé de faire faire — une belle grosse campa-
gne de publicité pour rehausser l'image du pharmacien.
– Avez-vous obtenu l'appui de l'Ordre ?
– L'appui de l'Ordre est une technicalité. Ce qu'il faut retenir, c'est 
que tous doivent payer pour cette campagne puisque tous en 
profiteront.
– En quoi les pharmaciens d'hôpitaux ont-ils un problème d'image ?
– Chaque fois qu'on rehausse l'image de pharmacien de détail, tout 
le monde en profite. Parce que nous sommes tous pharmaciens. 
Regardez l'émission COMMENT ÇA VA : le prestige de l'animateur-
pharmacien rejaillit sur toute la profession, même les pharmaciens 
d'hôpitaux. Parce que le public ne fait pas de différence ; il ignore 
que cet animateur est un jeune et dynamique pharmacien proprié-
taire…
– …Mais non, c'est un pharmacien d'hôpital.
– Ah bien c'est drôle. Je croyais que c'était un pharmacien proprié-
taire ; il est dynamique, intelligent, fonceur, etc. etc. Enfin, je suis
convaincu qu'un jour, il deviendra propriétaire : il en a toutes les
qualités.
– Et les salariés de pratique privée ?
– Eux aussi ont un problème d'image. Maintenant que dans nos 
pharmacies, ce sont les commis qui donnent les conseils et 
prennent les ordonnances téléphoniques des médecins, à quoi 
servent-ils ? Une bonne campagne de publicité pourrait dire au 
public : même s'il est trop occupé pour vous parler, votre phar-
macien pense à vous (ou quelque chose du genre).
– Abordons, si vous le voulez, un deuxième volet soit celui du 
tabac.
– Ouais, parlons-en du tabac. Personne n'a été plus incompris que 
nous sur la question du tabac. On a dit qu'on était pour le tabac.
– C'est un peu vrai, non ?
– C'est faux ! On est tous contre le tabac. Ce qu'on a défendu, c'est 
le principe de la liberté d'en vendre. Ce n'est pas pareil. Le tabac, 
c'est très mauvais on sait ça : mais en vendre, c'est très bon.
– Enfin, vous avouerez que la différence est un peu…
– Cessez donc de penser et écoutez-moi. La Pharmacie est la 
deuxième plus vieille profession du Monde. Ça remonte à des 
milliers d'années. Nous considérons avoir des droits ancestraux à 
vendre du tabac. Et plutôt mourir que de renoncer à nos droits.
– Bon. Alors passons si vous le voulez bien à la question du 
nombre de prescriptions par pharmacien. Vous êtes opposés à 
l'obligation d'embaucher un deuxième pharmacien lorsque le 
nombre quotidien d'ordonnances dépasse une certaine limite. 
Pourquoi ?
– Ça ne tient pas debout. Quand un pharmacien n'a rien à faire, 
c'est là qu'il se trompe le plus. Parce qu'il se met à penser à autre 
chose. Quand un pharmacien fait 500 prescription par jour, il a 
juste ça à penser. Il n'est pas distrait. Mais un pharmacien qui se 
met à faire des opinions pharmaceutique, des refus ou n'importe 
quoi d'autre qui indispose les médecins, c'est un pharmacien qui a 
du temps de libre.
– Mais voyons, la pharmacie clinique, c'est important.
– Pour qui ? Trouvez-moi donc un pharmacien qui est devenu 
millionnaire à faire des refus. Ce qu'on ne vous enseigne pas à 
l'université, c'est que chaque fois qu'un patient est hospitalisé à 
cause des médicaments, ça stimule l'économie. Les gavages, les 
intubations, les rayons X, ça fait travailler les gens d'ici. Si tout le 
monde était en santé, on n'existerait pas.
– Mais si le pharmacien ne joue pas son rôle, ne craignez-vous pas 
que…
– Cou'donc, es-tu venu ici pour poser des questions ou pour 
m'obstiner ?
– Excusez-moi. Je ne voulais pas vous offenser. Revenons à la 
limite de prescription. Que disiez-vous ?
– Prenez-le cas de mes pharmaciens à moi. Plus ils ont de 
l'ouvrage, plus ils donnent des conseils. Ça les stimule. Les 
journées où on fait 800 prescriptions par jour, ils font même le tri 
des médicaments périmés à domicile. On les appelle dès qu'on a 
besoin d'eux.
– Vous exagérez un peu, non ?
– Ça suffit, taisez-vous ! Petit insolent !
– Excusez-moi.
– Ça va, ça va. C'est quoi la prochaine question au juste ?
– Bien c'était au sujet de vos projets d'avenir...
– Nos projets d'avenir ? D'abord éliminer les duplications avec 
l'AQPP. Entre nous, si l'AQPP disparaissait, est-ce que ça serait si 
grave que ça ?
– Oh oui, ce serait épouvantable.
– QUOI !?!
– Euh, je ne suis pas sûr, peut-être que non après tout ?
– C'est évident. Avec nos 1 200 membres, pourquoi l'AQPP ? Et 
l'Ordre des pharmaciens: Franchement, avons-nous encore besoin 
de l'Ordre ?
— Euh... nnnnon ?
– Exactement ! 1994 sera l'année de l'union de tous les pharma-
ciens. Fini les discordes, fini les duplications. On va modifier notre
charte: il y aura les membres fondateurs de l'UBCPQ, les chaînes, 
qui auront le droit de vote et droit de parole. Puis les membres
réguliers, les bannières, sans droit de vote évidemment mais avec
droit de parole, limité peut-être, mais c'est mieux que rien. Puis les
salariés qui auront le statut complet d'observateurs, avec le droit
de s'asseoir pendant les réunions si tout le monde est d'accord.
– Puisque vous serez bientôt maîtres de la Pharmacie, comment 
entrevoyez-vous l'avenir de notre profession ?
– On parle de plus en plus de multidisciplinarité. Je crois qu'il faut 
être polyvalent. En 1995, chaînes et bannières se transformeront en 
Galeries de la Santé ; chacun de nos établissements aura sa micro 
boutique de pharmacie, de médecine, de physiothérapie, et au fond, 
de pompes funèbres. En 1996, nous ajouterons la prévention avec 
le comptoir de la diététiste, l'agence de voyages et le club de ren-
contres. En 1997, chaque Galerie obtiendra sa propre concession
du Vatican. Nous mettrons de l'ordre dans les apparitions de la
Vierge, avec un miracle gratuit avec l'achat de deux guérisons.
– Mais alors, selon vous, les gens n'auront plus besoin de médi-
caments ?
– Dès qu'on aura pris le contrôle des miracles, on cessera de 
convaincre les gens qu'ils ont besoin de nos pilules. Ils cesseront 
d'en prendre et beaucoup se porteront mieux.
– Si c'était si simple, pourquoi personne n'y a pensé avant ?
– Notre profession a été trop longtemps dirigée par des rêveurs ou 
des ivrognes. Ce qu'il lui faut, c'est d'un homme d'envergure,
capable d'exporter ce concept des Galeries de la Santé d'abord en 
Nouvelle-Angleterre, puis dans l'ensemble des Etats-Unis ; un 
leader capable de faire rayonner la Pharmacie québécoise à travers 
le Monde, d'en faire une des crottes industrielles du Ministre 
Tremblay. La Pharmacie a besoin d'un homme fort qui aura le 
courage de transformer radicalement notre profession. A ceux, 
nombreux, qui aspirent à connaître enfin un vrai chef, laissez-moi 
vous dire qu'en ma qualité de Président de l'UBCPQ, je crois que…
DRRRING!
…Excusez-moi. Oui allô ? …Oui ma chérie ? Non, je donne une 
entrevue présentement… …oui je sais, j'ai oublié de faire la 
vaisselle. Non, excuse-moi mais… …non mais écoute… …je sais 
j'avais promis mais… …je vais tout t'expliquer…
Texte inédit
© 1993 — Jean-Pierre Martel

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