Entrevue avec Me Leblanc

N.D.L.R.- Sous le pseudonyme «Méo Patsy», le pharmacien Jean-Pierre Martel 
aborde aujourd'hui le délicat problème de la vente du tabac dans les boutiques 
adjacentes aux pharmacies. Afin de ne heurter la sensibilité de personne, l'auteur 
a choisi de transposer ses propos dans le contexte d'une autre profession.
    - Maître Leblanc, permettez-moi d'abord de vous remercier d'avoir 
bien voulu m'accorder cette entrevue destinée à dissiper certains 
quiproquos relatifs à des aspects de votre pratique. Si vous le 
voulez bien, abordons tout de suite le vif du sujet par une question 
que tous vos collègues se posent : Pourquoi vendre des pistolets 
dans votre salle d'attente ?
    - Eh bien voici. Une rumeur veut que notre bureau d'avocats 
vendrait des armes à feu. Cela est totalement faux. Vous m'enten-
dez : totalement faux...
    - Oui mais en entrant là, j'ai pourtant vu...
    - ...Laissez-moi continuer. Il est vrai que nous avons un assor-
timent assez varié de moyens d'autodéfense. Toutefois, ce n'est 
pas à titre de procureurs que nous les vendons. Vous voyez, ici 
dans ce bureau, vous êtes dans Leblanc Lenoir Legris et Associés, 
avocats. De l'autre côté de cette porte, vous êtes dans Variétés 
Leblanc Lenoir Legris et Associés. Ce sont là deux entités juridi-
ques complètement distinctes. Tellement distinctes qu'elles sont 
séparées par un mur. Et nous sommes fiers de souligner que ce 
mur anti-balle est conforme aux exigences du Barreau du Québec.
    - Ceux qui sont en désaccord avec cette vente, prétendent que 
cela serait à l'encontre de vos devoirs de professionnel. Qu'en 
pensez-vous ?
    - Au contraire : nos armes servent à protéger le public. Nous ne 
les vendons qu'aux honnêtes gens. Pour se défendre. Vous pensez 
bien que des professionnels comme nous, ne vendrions jamais de 
tels articles à des criminels notoires. 
   - Et les cagoules ?
    - Oh je peux vous donner ma parole d'avocat que nos cagoules 
servent à la protection du public, l'hiver, contre le froid.
    - Enfin, Maître, en tant que criminaliste, ne trouvez-vous pas 
gênante cette vente d'armes à proximité de votre cabinet ?
    - De toute façon, si nous n'en vendrions pas, les gens en achète-
raient ailleurs. Le fait que ce soit à proximité de notre cabinet, nous 
permet de faire de l'éducation populaire. C'est ainsi que tous nos 
pistolets portent distinctement la mention suivante :  «Pour votre 
santé et votre bien-être au Canada, le danger pour les autres aug-
mente avec l’usage. Éviter de dégainer.» De plus, lorsque je suis 
appelé à en vendre, je n'hésite pas à déconseiller l'utilisation de 
nos revolvers à certains clients. Par exemple, aux parkinsoniens.
    - Alors vous ne vous sentez pas en conflit d'intérêts ?
    - Non.
    - Ce n'est pourtant pas l'avis de certains de vos collègues.
    - Oh vous savez : c'est très facile de prêcher qu'un avocat ne 
devrait pas vendre d'armes pour ceux qui n'en vendent pas de 
toute façon. C'est très facile. Nous, nous en vendons pour des 
milliers de dollars par semaine. Nous savons de quoi nous parlons. 
Si nous cessions cette vente, nous perdrions alors d'importants 
profits. Or tout le monde sait que nos cabinets d'avocats ne sont 
pas rentables en raison des frais énormes d'opération : sans la 
vente d'armes, nous serions obligés de couper dans nos services 
professionnels, en particulier, de fermer le dimanche.
    - Cet argument ressemble à du chantage, non ?
    - Non. Si nous sommes ouverts ce jour-là, tout comme les autres 
jours de la semaine, c'est parce que la partie commerciale subven-
tionne la partie professionnelle. Littéralement, nous sommes forcés 
de vendre des armes si nous voulons rester ouverts et servir le 
public. Or nous aimons le public. Et cet amour va jusqu'au renon-
cement, jusqu'à l'abnégation totale. Pensez-vous que ce soit très 
intéressant pour de vrais professionnels comme nous de nous 
abaisser à vendre des armes à feu ? Non. Si nous le faisons, c'est 
par esprit de sacrifice. Et je suis très déçu de voir que notre action 
soit l'objet de tant d'incompréhension. Au moins j'espère que notre 
martyr sera compris par vos lecteurs. Maintenant vous m'excuserez :
je dois revoir la cause d'un bègue à qui j'ai vendu une mitraillette.
    - Merci maître.
Publié par Le Pharmacien en janvier 1989
© 1989 — Jean-Pierre Martel

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