Les hauts et les bas du dépannage



Depuis fin 1999, je suis pré-retaîté. Mon horaire régulier correspond à une moyenne de 9 heures par semaine, auxquels s’ajoute une vingtaine d’heures de dépannage auprès de quatre employeurs. Toujours les mêmes. Si c’était seulement de moi, je ne travaillerais que quinze heures par semaine. J’en fais 28,5 en moyenne.

Né d’une famille de cardiaques et étant de tempérament caractériel (je suis Lion), je déteste le stress. Là où je travaille, je suis entouré d’employées compétentes et respectueuses. De plus, la clientèle de ces quatre pharmacies y est polie, souvent charmante. Bref, le bonheur.

À part mes heures régulières, mon horaire de travail est extrêmement variable. Je peux très bien passer deux semaines de suite sans travailler puis soudain, effectuer 60 heures par semaine à remplacer un collègue à l’occasion de ses vacances.

Lorsque je frappe un “creux”, j’en profite pour faire le ménage, laver la vaisselle qui traîne, louer des DVD, transférer mes disques compacts sur mon iPod, assister à des concerts ou visiter des expositions. La première semaine, ça va. Puis lorsqu’arrive la deuxième semaine de suite, mon appartement resplendit déjà comme un sou neuf depuis quelques temps. Alors, je vais pitonner sur l’Internet. Mais bientôt s’installe l’angoisse.

« C’est bizarre, personne ne m’a téléphoné. » De jour en jour, l’anxiété s’accroît. Toujours rien. Vers le dixième jour consécutif de chômage, je deviens plutôt inquiet « Serait-ce la fin de la pénurie de pharmaciens ? Tu vois bien : plus personne n’a besoin de toi. Ça ne peut pas continuer comme ça. Où veux-tu aller avec 9 heures par semaine ? Ça ne paie même pas ton loyer. Réalises-tu bien que c’est la misère qui t’attend ? T’aurais donc dû acheter une pharmacie pendant qu’il était temps. Maintenant, c’est trop tard. : tu es trop vieux. » Je me vois déjà à la sortie du Jean Coutu sur la rue Mont-Royal, quêtant l’aumône des passants, me voilant le visage lorsque des connaissances, des parents ou des amis pourraient être témoins de ma déchéance.

Puis, au paroxysme de mon angoisse, le téléphone sonne. « Jean-Bierre. J’ai addrabbé une baudite gribbe. Zerais-du disbonibe bour les drois brochains jours. Du be sauverais la vie. »

Dans un tel cas, il ne faut jamais, jamais, jamais répondre quelque chose comme : « Ciel ! Bien oui patron, je vais vous remplacer. Si vous saviez comme je ne fais rien de ces temps-ci. » Ce genre de réponse n’est vraiment pas très professionnel. Ce qu’il faut dire, c’est du style : « Mmm… attendez que je vérifie mon agenda. Euh… Mon Dieu ! je n’en crois pas mes yeux. Je n’ai rien pour demain et le jour suivant. Aïe, deux jours de suite. Wow ! Malheureusement pour vendredi… Non, attendez un peu… Pas possible ! Vous ne me croirez peut-être pas mais je vous jure que c’est vrai : je suis libre aussi vendredi. ‘Cou’ donc, est-ce que je suis bien dans le bon mois ? Bien oui. Comme c’est drôle. Bien vous êtes chanceux, patron : je vais vous remplacer pour les trois prochains jours. Reposez-vous bien. C’est merveilleux comme vous êtres chanceux dans votre malchance. »

Évidemment, lorsque je retourne au travail, je me suis ennuyé de la pharmacie. Je suis alors souriant et relax comme au retour de mes vacances annuelles. À l’opposé, après une période intensive de travail, il est temps pour moi de retourner à mon ordinateur, à mes traîneries, à faire la grasse matinée, à me laisser pousser la barbe et à flâner en vêtement de jogging. Et quand j’ai vraiment le temps, je peux même composer des textes humoristiques. Mais j’y pense : ça fait combien de jours déjà que je ne travaille pas ? Mon Dieu ! Qu’est-ce qui m’arrive…

Texte inédit
© Avril  2007 — Jean-Pierre Martel

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