Il est beau le métro, mais…

Monsieur Lawrence Hanigan
Président-directeur général
C.T.C.U.M.
 
Monsieur Hanigan,
Si l'amour n'unit pas encore complètement l'humanité, entre-temps 
le dépit arrange parfois bien des choses puisqu'il est responsable 
de ce lien écrit entre nous.
    Pourquoi le dépit ? Parce que notre métro me déçoit sur les 
bords (mais les bords seulement). Il est beau. Il est propre, pra-
tique, peu bruyant. Le feu n'y prend qu'à l'occasion et les suicides 
ne causent pas trop d'inconvénients aux usagers. Je suis tenté 
d'ajouter que les vols à la tire et les délits sexuels y font presque 
défaut. Bref, il est très bien. Mais…
    Mais il a deux petits défauts. Deux petits défauts comme 
deux petits boutons sur la langue : énormément agaçants. Premiè-
rement, aux anciennes stations de métro, un bruit indiquait à 
l'usager qu'il pouvait passer aux tourniquets, son billet ou sa 
correspondance ayant été acceptée. Ce n'est pas le cas dans les 
stations entre Préfontaine et Honoré-Beaugrand. De plus, près d'où 
j'habite, à la station nommée en l'honneur de Sa Sainteté le Pape 
Pie-IX, ces tourniquets bloquent à l'occasion sans préavis, dans un 
sens ou dans l'autre. Si ces tourniquets étaient placés au niveau de 
la cage thoracique, je n'aurais pas pris la peine de vous écrire. Mais 
ils arrivent aux hommes de ma grandeur (5’10”), à un endroit que le 
Pape Pie-IX ne me permettrait pas de vous décrire, d'où mon 
désarroi et ma stupeur chaque fois que le choc m'y est infligé.
    Deuxièmement, si General Motors fournissait en équipement 
standard sur ses voitures un climatiseur qui projette de l'air chaud 
en été et un souffle froid l'hiver, cela ferait longtemps que le gou-
vernement aurait obligé le rappel de ces voitures. Puisque les 
wagons du métro roulent toujours, je présume que les inspecteurs 
du gouvernement doivent avoir l'auto fournie. S'ils empruntaient le 
métro, ils auraient vu que les gens debout aux heures de pointe se 
font dépeigner dans les anciens wagons tandis que dans les 
nouveaux wagons du métro, les gens assis attrapent le torticolis à 
cause de l'air froid qui leur arrive dans le cou.
    Blessé dans mon «orgueil» (i.e.– les tourniquets), les 
cheveux gluants de fixatifs et habillé d'un col roulé (i.e.– la 
climatisation), j'emprunte chaque jour plus meurtri notre beau 
métro. Remplaçant peu à peu l'admiration, mon ressentiment 
grandit.
    Avant d'être envahi par la révolte ou l'indifférence, je 
m'adresse à vous, Monsieur Hanigan. Si on ne peut ralentir les 
ventilateurs l'hiver ou répartir plus également la ventilation dans 
les wagons, je suis prêt à endurer le fixatif et le torticolis; mais de 
grâce, délivrez-nous des tourniquets.
Jean-Pierre Martel, pharmacien
Montréal  (Québec)
Lettre publiée dans La Presse du 28 Septembre 1979
© 1979 — Jean-Pierre Martel

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